L’Agriculture française face au défi climatique : une contribution cruciale pour la neutralité carbone

Sylvain Pellerin, directeur de recherche à l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique) répond à nos questions

Pourriez-vous nous éclairer sur l’influence de l’agriculture sur le réchauffement climatique en France ?
En France le secteur de l’agriculture représente près de 19% des émissions de gaz à effet de serre, exprimé en équivalent CO2, soit un cinquième des émissions nationales tous secteurs confondus. Cette réalité souligne le rôle clé du secteur agricole dans l’atteinte des objectifs de neutralité carbone d’ici 2025. Le défi est double : réduire les émissions d’un côté, et augmenter les puits de carbone de l’autre. En effet, atteindre la neutralité carbone exige de diviser par 6 les émissions et de doubler la captation de carbone.

 

Quelles sont les principales sources d’émissions agricoles ?
Le méthane (CH4) est, à masse égale, 28 fois plus réchauffant que le CO2. Il représente la majeure partie des émissions agricoles, avec une contribution de 51% due à l’élevage. Le méthane provient des ruminants (méthane entérique) ainsi que du stockage et du traitement des effluents.
Le protoxyde d’azote (N2O) provient de l’utilisation d’engrais azotés, il est 273 fois plus réchauffant que le CO2 et représente de l’ordre de 40-45% % des émissions du secteur agricole.
Le dioxyde de carbone (CO2) provient de l’utilisation d’énergies fossiles (engins agricoles, séchoirs, …) et représente moins de 10% des émissions totales du secteur.

 

Comment l’agriculture peut-elle contribuer à la réduction des émissions ?
L’agriculture peut devenir un acteur clé dans la lutte contre le changement climatique en adoptant trois approches visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à stocker du carbone et à développer les énergies renouvelables.
La première stratégie est une approche proactive de réduction des émissions de méthane, de protoxyde d’azote et de dioxyde de carbone.
La deuxième stratégie se concentre sur le stockage du carbone dans les sols et la biomasse ligneuse, permettant d’extraire du CO2 de l’atmosphère et d’immobiliser du carbone dans des compartiments à temps de résidence long.
La troisième stratégie concerne la production d’énergies renouvelables, qui se substituent à des énergies fossiles. L’injection de biométhane 100% renouvelable, produit à partir de biomasse (effluents d’élevage notamment), dans le réseau de gaz est un cas d’école exemplaire pour le climat.

 

Pour réduire les émissions, quelle approche recommandez-vous ?
Dans le cadre de la stratégie bas carbone, la France vise à réduire ses émissions résiduelles à 80 millions de tonnes de CO2eq d’ici 2050, ce qui, dans l’agriculture, implique une division par deux des émissions.
Pour réduire les émissions de CO2 du secteur, des améliorations sont nécessaires en matière d’économies d’énergie, que ce soit au niveau du chauffage des bâtiments d’élevage ou du réglage des engins agricoles.
Pour atténuer les émissions de CH4, l’accent pourrait être mis sur l’augmentation de la consommation de protéines végétales tout en réduisant la part de produits d’origine animale dans l’alimentation humaine.
Il est également essentiel de repenser les systèmes d’élevage, de favoriser une réassociation des productions animales et végétales, et de promouvoir une fertilisation raisonnée à base d’engrais organiques.
Cependant il est impératif de rester vigilant afin de ne pas perdre l’intérêt du bétail pour la valorisation des prairies, et éviter qu’une diminution des émissions en France ne se traduise par une augmentation plus importante des émission importées depuis l’autre rive de l’Atlantique.
Réduire les émissions de N2O nécessite de poursuivre les efforts de fertilisation raisonnée et de développement des légumineuses, afin de réduire notre dépendance aux engrais de synthèse. Il existe encore une marge de progression significative. Les cultures de légumineuses (soja, pois, haricots, lentilles, fèves) sont capables de fixer l’azote de l’air et éliminent ainsi le besoin d’apports d’engrais azotés.
De plus, elles fournissent une source riche de protéines végétales pour l’alimentation humaine.
Actuellement, notre niveau d’autonomie protéique avoisine les 50%. La marge de manœuvre est considérable. L’expansion des légumineuses serait bénéfique à plusieurs égards et permettrait notamment de réduire notre dépendance vis-à-vis des importations de soja, même si le coût de production actuel est moins compétitif que celui du soja importé. Ce développement suppose également d’encourager leur utilisation dans alimentation humaine et d’impliquer à la fois les consommateurs et les agriculteurs.

 

Quel est le rôle du stockage du carbone pour contrer le changement climatique ?
L’idée d’augmenter les réserves de carbone dans les sols émerge comme une solution pour contrebalancer les émissions de CO2 dans l’atmosphère et lutter efficacement contre le changement climatique. Si les stocks de carbone dans les sols augmentaient de 4 pour 1000 par an, cela compenserait les émissions liées à l’utilisation des énergies fossiles.
Sous une prairie française, le stock de carbone atteint environ 80 tonnes par hectare dans l’horizon de 0 à 30 cm, tandis que sous une grande culture, il est d’environ 50 tonnes par hectare. Les prairies offrent ainsi un service climatique essentiel, car lorsque le carbone est stocké dans le sol, il ne contribue pas au changement climatique. Le temps de résidence du carbone peut varier de quelques semaines à plusieurs mois, voire plusieurs décennies ou siècles en raison de sa stabilisation. Cependant, il est important de noter que ce stock n’augmente pas indéfiniment et atteint un équilibre à un certain point. Le stockage de carbone dans les sols est un levier intéressant, mais pas une solution miracle.

 

Quelles pratiques préconisez-vous pour accroitre les stocks de carbone dans les sols ?
L’INRAE a exploré plusieurs pratiques agricoles en utilisant des calculs et des simulations pour évaluer leur intérêt, et en recommande trois à fort potentiel.
Développer des cultures intermédiaires : éviter de laisser les sols nus pendant les périodes d’intercultures en cultivant des plantes non destinées à être récoltées. L’idée est que le carbone fixé par photosynthèse pendant l’interculture soit incorporé dans le sol et contribue à l’augmentation du stock de carbone. Ces cultures sont déjà pratiquées et obligatoires dans les zones vulnérables aux nitrates, mais leur généralisation, partout où c’est agronomiquement possible, augmenterait significativement les stocks de carbone.
Développer l’agroforesterie : associer sur une même parcelle, une culture agricole ou un élevage, et des arbres (haies, alignements, etc.) procure de nombreux bénéfices tels que l’augmentation des stocks de carbone dans les sols et la biomasse, la préservation de la biodiversité ou la réduction de l’érosion des sols.
Développer les prairies temporaires : privilégier les prairies temporaires plutôt que le maïs ensilage dans les zones d’élevage, car ces prairies restituent davantage de carbone au sol. Les rotations de grandes cultures avec des séquences de prairies temporaires permettent de stocker plus de carbone.
Ces trois leviers peuvent être déployés à grande échelle à travers toute la France. Si ces pratiques étaient généralisées, elles pourraient compenser environ 7% des émissions françaises actuelles, tous secteurs confondus.
Cependant, soulignons bien que si l’agriculture peut contribuer à atteindre la neutralité carbone, elle ne peut y parvenir seule. Un effort de réduction des émissions est nécessaire dans tous les secteurs (transport, bâtiment…).

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