Les agriculteurs sont des cultivateurs d’eau verte. Tag : stratégie Date : 15/06/2023 Type : Actualités Climatologue, président du cluster Eau & Climat et directeur de l’Association climatologique de la Moyenne Garonne (ACMG), Jean-François Berthoumieu propose une réflexion stimulante sur l’adaptation de nos territoires au changement climatique. Partant du constat que le cumul des pluies reste constant dans le temps, ce chercheur et acteur de terrain nous explique comment l’eau de pluie peut venir à la rescousse du réchauffement climatique. (...) Comment répondre aux enjeux de la ressource en eau dans le contexte du réchauffement climatique ? Les quantités de précipitations sont stables depuis 30 ans et elles le resteront mais avec une variabilité saisonnière importante. C’est cette variabilité, alors que les températures progressent de 0,5° tous les 10 ans et dépassent de plus en plus souvent les seuils de 35°, qui crée une contrainte sur la ressource en eau. La stratégie d’adaptation que je défends consiste à ralentir les écoulements superficiels de « l’eau bleue », quand les pluies sont abondantes, de manière à la conserver localement le plus longtemps possible pour l’utiliser durant les jours de canicule. Cette eau économisée et stockée permet ainsi de répondre aux besoins de l’ensemble du territoire et contribue à la réduction de l’amplitude thermique. Cela permet de faire face à l’hétérogénéité de la ressource. C’est ce que faisaient les Romains, les Arabes, les Grecs des régions méditerranéennes en construisant des digues et des canaux. Actuellement, nos difficultés résident dans le fait que notre perspective sur l’eau est principalement influencée par des principes anglo-saxons nordiques, conçus pour des pays nordiques. Leur principal enjeu consiste à assurer un écoulement rapide de l’eau vers la mer pour prévenir les inondations, en supprimant les digues, en ouvrant les fleuves. Je suis d’avis que nous devons repenser notre approche et reconsidérer la Directive-cadre sur l’eau (DCE) actuellement en place. Quels moyens sont à notre disposition pour ralentir l’évacuation de l’eau ? Ce sont des solutions locales de stockage, il peut s’agir par exemple de mares, de zones humides ou de lacs collinaires collectifs, de nouvelle génération. Des expérimentations ont été lancées dans le Lot-et-Garonne, à Marmande et en Haute-Garonne pour rediriger l’eau des canaux vers les nappes. Ce que je préconise, c’est que chacun, dans sa commune, dans son canton, dans sa ferme, retrouve les solutions ancestrales qui ont perduré jusqu’à la Seconde Guerre mondiale pour empêcher l’eau de partir à la mer. Il faut revenir au gravitaire, laisser l’eau s’infiltrer dans le sol pour qu’elle recharge les nappes phréatiques. Il est impossible de retenir toute la pluie qui tombe lors d’épisodes pluvieux abondants. Sur 60 mm de précipitations, 15 à 20 mm s’écoulent directement vers les rivières sans être absorbés. Mais si les sols parviennent à stocker 5 mm de plus plusieurs fois par an, on peut arriver aux 350 à 400 mm nécessaires à la réalimentation des nappes. Cette eau reviendra ensuite dans le milieu avec un décalage de quelques semaines. Il s’agit en fait d’adapter les cycles de l’eau au contexte local. Selon vous, les agriculteurs jouent-ils un rôle important dans ce processus ? Oui, ils ne sont pas seulement des utilisateurs ils sont des cultivateurs « d’eau verte ». Stockée dans le sol et la biomasse elle est évaporée ou absorbée et évapotranspirée par les plantes et retourne directement à l’atmosphère pour contribuer à la formation des nuages et aux précipitations. Cette eau verte prend aussi sa source dans l’évaporation des lacs et des mares. Je suis d’accord avec l’idée qu’il est important de permettre à l’eau de circuler naturellement et de se régénérer. Lorsque l’eau s’épuise, il est nécessaire de lui permettre de suivre son cycle naturel, où elle s’élève vers le ciel par convection, se transforme en nuages, se condense en pluie, puis retombe sur terre sous forme d’eau bleue. Cette approche tient compte des spécificités régionales, elle permet de préserver les ressources en eau locales et favorise un équilibre naturel préservant l’écosystème local. Il faut comprendre que pendant l’été, la pluie qui tombe à Toulouse n’est pas de l’eau provenant directement de la Méditerranée ou de l’Océan, mais plutôt de l’eau provenant de la vallée de la Garonne ou éventuellement de l’Ariège. Dans cette optique, la plantation d’arbres est particulièrement pertinente : leur système racinaire qui descend à plusieurs mètres dans le sol leur donne un potentiel d’évapotranspiration plus important. Je préconise d’ailleurs la création de parcelles avec des cultures variées de 5 à 10 ha entourées de haies et d’arbres, qui maintiendraient de la fraîcheur et casseraient les effets asséchants du vent. Les coopératives me semblent particulièrement légitimes pour mener ces réflexions sur l’adaptation au changement climatique. Comment l’irrigation doit-elle évoluer ? L’irrigation estivale doit être pilotée, de manière à économiser l’eau et à l’utiliser au mieux. Cela signifie que le bilan hydrique doit être étayé par des mesures précises : il faut connaître la profondeur d’enracinement des cultures, la quantité d’eau infiltrée dans le sol, la quantité prélevée par la plante, et combiner ces données avec les prévisions météo. En fonction de cela, l’agriculteur peut adapter finement ses apports, par exemple en laissant descendre la réserve utile des sols sans mettre en danger le rendement dans les périodes plus fraîches, ou au contraire en refaisant le plein des sols pour anticiper les poussées de chaleur. Cette approche stratégique déjà adoptée dans le maraîchage et l’arboriculture devrait être considérée également dans les grandes cultures. Les agriculteurs : des acteurs clés de la gestion durable de l’eau en France ? Il est essentiel de reconnaître l’expertise précieuse des agriculteurs dans la gestion de l’eau et de les soutenir dans leurs pratiques respectueuses de l’eau, plutôt que de les stigmatiser. Leur rôle clé dans le cycle de l’eau doit être valorisé pour favoriser une gestion responsable de cette ressource précieuse. 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